Interview de Christian Dumard, l’ombre du Tour

06.03.2025

Dans l’ombre du tour du monde à la force humaine de Louis Margot, Christian Dumard est ce qu’on appelle dans le jargon un routeur.

Élevé sur un bateau une partie de son enfance puis diplômé de marketing, le Breton s’est intéressé à la navigation, à la météo et est devenu navigateur – le chargé de la trajectoire et de la météo – sur voiliers de compétition. Il devient ensuite routeur (son équivalent à terre), et exerce cette profession depuis trente ans.

Christian Dumard, quel est le but du routage pour un rameur ?

C’est penser des parcours, anticiper ce qui peut se passer, pour s’exposer le moins possible :

Au-delà de la performance, la priorité est d’arriver en bonne santé, sans tout casser. Quand on part pour 120 jours à traverser un océan, on ne sait pas ce qu’on aura au-delà de 10 jours. Surtout pour un rameur, car un gros bateau s’il démâte, il flottera toujours. Mais un rameur peut vite être en danger. 

Et c’est aussi de l’optimisation pour trouver la route qui représente le meilleur compromis : 

À la rame, le bateau ne va pas vite, il faut donc bien se caler sur le courant car ça permet d’avancer 24 heures sur 24, en ramant 8 heures par jour. Mais il ne faut pas trop rallonger la route non plus pour aller chercher le courant.

Qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre cette aventure ?

J’adore tous les projets un peu atypiques. Ce sont des projets attachants. Avec le routage d’un bateau qui va traverser l’Atlantique, ça dure 15 jours et on n’en entend plus parler, une fois arrivé. Là, ça fait bientôt un an et demi qu’il est parti ! Ça crée des liens et on est plus impliqués dans l’aventure. Ce qui est sympa, c’est qu’on a aussi discuté du parcours.

Le parcours justement, comment l’avez-vous choisi ?

On a fait une étude climatologique des conditions des années précédentes sur différentes routes pour connaître la force du vent et l’état de la mer. C’est à partir de ces différentes hypothèses qu’on est parti sur un parcours. Mais ça a évolué parce qu’on était plutôt parti sur le Pacifique Nord. Et au fil du temps, on s’est dit que si Louis arrivait avec du vent fort en Amérique centrale, il risquait de ne pas pouvoir s’arrêter et de terminer sur une plage avec le bateau pillé. Ce n’était pas super. La Colombie se prêtait plus à ça et c’était aussi plus court à la rame. […] Bien sûr il y avait toujours un risque de rater la Colombie, mais plusieurs ports se suivaient. Et là, le vent était parallèle à la côte, donc c’est moins dangereux.

Comment Louis Margot reçoit-il vos informations ?

Comme il a Starlink [ndlr : fournisseur d’accès internet par satellite] à bord, une plateforme lui montre la route qu’on lui propose. Quand les conditions changent beaucoup, comme au départ du Portugal ou entre les Antilles et la Colombie, on lui envoie tous les jours une analyse et on échange par vidéo. 

Sur la traversée du Pacifique, c’est plutôt tous les 2 à 3 jours : ceux-ci se ressemblent beaucoup et sont monotones. Quand on sera à 15 jours de rame des Marquises, on repassera sur un rythme quotidien. Il s’agira de viser les îles et de se poser quelques questions : S’arrête-t-on bien aux Marquises ? À l’aide d’un autre courant aurait-on intérêt à s’arrêter plus loin ?

 

Quels sont les dangers qu’il peut trouver en mer ?

Il y a toujours le risque de collision pour un bateau solitaire, quel que soit le bateau. Cela étant, il a une balise qui émet tout le temps et que les autres bateaux voient. Il y a aussi les blessures ou des problèmes de peau. Ce qui est le plus craint c’est que le bateau se retourne à cause du mauvais temps.

Après le départ pour l’Atlantique, Louis est revenu au Portugal. Comment s’est prise la décision ?

En partant, la situation était limite. On s’était fixé des limites à ne pas franchir comme, il me semble, pas plus de 20 nœuds de vent [ndlr : 37km/h], 3 mètres de creux, et X jours accrochés à l’ancre flottante. La situation s’est un peu dégradée et on a vite vu que ces limites étaient atteintes. La décision s’est prise assez naturellement. 

 

Article : Jérôme Laurent

En collaboration avec le Journal de Morges

Je partage